Encore
Me revoilà devant cet écran blanc que je tente de remplir des signes de mon ignorance. Activité toujours à recommencer, la rédaction de ce blogue m’apparaît souvent comme une suite de ratages pour lesquels je dois me reprendre constamment, comme si je cherchais à réussir enfin ce que j’échouais sans cesse. Je me demande parfois jusqu’à quel point je reviens à la case départ pour l’écriture de chaque nouveau texte. À bien y penser, je crois qu’il n’y a jamais de nouveauté, jamais de recommencement, jamais de page blanche. Il y a seulement de nouveaux mots (un plutôt un nouvel agencement des mêmes mots) que j’inscris entre les anciens, de manière à rajouter au discours déjà entamé une parenthèse infinie, une explication, un commentaire sans fin.
Ce blogue est en quelque sorte à considérer dans son ensemble : tous les textes ne forment en fait qu’un seul et même texte qui s’étire dans le temps comme de la pâte à bonbon. Je ne recommence jamais puisque le blogue ne se termine pas : il se ferme sur une ouverture qui mène vers un ailleurs différé, une suite décousue que la vie s’occupe de recoudre au fil des jours, des semaines et des mois. Il n’y a qu’un seul blogue qui dit toujours et encore la même chose : voyez comment la vie est simple, voyez comment elle est compliquée. En fait, c’est justement parce qu’elle est si simple qu’elle est compliquée : ces mêmes gestes que nous posons chaque jour, ces mêmes pensées que nous ressassons, ces mêmes souvenirs qui viennent nous hanter et qui dictent nos actes à venir s’expriment dans une infinité de variations qui réitèrent la simplicité de l’existence dans une complexité dont on n’aura jamais fini d’explorer tous les méandres. C’est très simple : l’esprit humain est insondable.
J’ignore ce qui me pousse à noircir ces pages sinon ce besoin d’exprimer l’inexprimable, de tenter désespérément de mettre le doigt sur le bobo, le doigt dans l’engrenage pour que se détraque enfin cette machine qui n’en finit plus de faire tourner ses turbines à vide : tout va trop vite et je cherche par l’écriture à suspendre le cours des choses, à freiner la chute de l’homme, à noyer le vrombissement des moteurs dans le bruit des mots.
Je me demande parfois si je ne suis pas en train de m’enfarger dans les fleurs du tapis : à force d’examiner dans le détail chaque geste et chaque pensée, je ne parviens qu’à amplifier le problème. En regardant le moustique à la loupe, il est certain que je m’effraie à la vue du monstre. Aussi, en cherchant à comprendre les tenants et aboutissants, à saisir la vue d’ensemble formée de toutes les fioritures de la vie, je ne reconnais même plus le dessin de la tapisserie, la signification de chaque chose, la nature véritable de l’instant. Mon regard me joue des tours : en voulant ajuster mon œil entre le microcosme de la vie quotidienne et le macrocosme de l’univers, je vois tout dans un flou qui fait disparaître le contour des choses.
Encore une fois, je m’apprête à mettre un point final qui ne termine rien du tout. Ce point n’est qu’une autre fenêtre s’ouvrant vers un autre sens possible, une autre interprétation, une autre façon de voir les mêmes choses, les mêmes mots qui, encore et encore, viennent brouiller notre vision et remettre en question notre perception. Ce point final, lorsque je le regarde de plus près, est un trou par lequel s’engouffre toute signification. Au-delà de ce point, je ne réponds plus de rien.