En éveil
À chaque seconde, il se passe des choses qu’il ne faut absolument pas manquer. C’est pourquoi je reste en éveil le plus possible. C’est cette attention, ce souci de rester parfaitement concentré, qui me fera remarquer les petits détails de la vie qui révèlent de grandes choses à celui qui les remarque. C’est ainsi que, l’œil alerte, je veille alors que tout le monde s’est assoupi.
Saviez-vous que juste après minuit, l’air prend un goût sucré que le vent rapporte des confins et la nuit nous observe attentivement de la profondeur du temps de ses milliards d’yeux scintillants ? Et puis juste avant deux heures, le ciel est si noir, et les étoiles si brillantes, qu’on jurerait que la Terre est toute petite dans un tel firmament. Alors que le reste du monde ronfle et s’agrippe à ses couvertures pour ne pas être emporté par les rêves, je sonde l’inconnu et m’abreuve des mystères de l’univers.
Après trois heures, la ville a cessé d’exister vraiment : elle est un mirage inventé par les créatures de la nuit pour faire peur aux jeunes vampires et faire rêver incubes et succubes en mal de vivre. À cette heure, on croirait que la nuit durera toujours. Je voudrais m’envoler dans cet air léger pour suivre cette nuit dans son voyage, allant partout où elle va, survolant un obscur paysage duquel, les détails évanouis, il ne reste que l’essentiel.
Avez-vous remarqué comment la lumière est particulière juste avant l’aube ? Avant de s’enflammer, l’Est montre une évanescence prenant la nuit d’assaut alors que les premiers reflets roses et orangés du soleil viennent nous rappeler que la couleur n’est pas que dans les tubes. Et ce silence, vous l’entendez ? Il filtre, comme dans un trou noir, les bruits de la ville pour en faire de la confiture qu’étaleront bientôt sur leurs tartines ceux qui dorment encore.
Je suis en éveil et sur le point de connaître des révélations inimaginables. Je me rends compte maintenant qu’il faut garder les yeux ouverts pour percevoir toutes ces choses dont le commun des mortels ignore l’existence. Je suis en éveil, et c’est très bien. Mais je dois avouer que je ne détesterais pas dormir un peu, ne serait-ce qu’un instant, afin de revoir en rêve toutes ces révélations de la nuit.
Je suis en éveil, et là je n’en peux plus… Alors que tout le monde est alerte et prêt à commencer sa journée, j’ai l’œil glauque et la tête lourde. Il ne me reste plus, des images extraordinaires de la nuit, qu’une vague impression de manque, un étourdissement, le sentiment de voir mes facultés s’embrouiller définitivement. Comment ? Si j’ai bien dormi ? M’en parlez pas… ! Oui, je sais. C’est une journée importante : il faut rester en éveil… Oui. Justement… Je crois que c’est très important de rester en éveil et être ainsi attentif à tous les détails de la vie… Comment vous dites ? Je dors ? Mais non… Jamais ! J’ai l’air, comme ça, de m’assoupir, mais c’est pour mieux me concentrer… Qu’est-ce que je disais… ?